À la tête des forces spéciales, ce militaire a pris le pouvoir par la force dimanche 5 septembre. Ancien légionnaire français, rentré en Guinée il y a à peine trois ans, il avait réussi à obtenir la confiance d’Alpha Condé, contre lequel il s’est retourné.
Ce dimanche 5 septembre, il est 14h à Conakry, lorsque Mamady Doumbouya apparait à la Radio-télévision guinéenne (RTG). Drapeau tricolore jeté sur les épaules, béret rouge sur la tête, le lieutenant-colonel est entouré de huit de ses hommes en treillis lorsqu’en quelques mots, il annonce la destitution du président Alpha Condé. Le chef du Groupement des forces spéciales vient de devenir putschiste et de s’auto-proclamer nouvel homme fort de Guinée.
« Nous n’allons plus confier la politique à un homme, nous allons la confier au peuple. Il y a eu beaucoup de morts pour rien, beaucoup de blessés, beaucoup de larmes », déclare-t-il en pourfendant gabegie, corruption et mauvaise gouvernance qui régnaient jusque-là, selon lui, en Guinée. Il confirme que les institutions sont suspendues, qu’une nouvelle Constitution sera écrite, et qu’un Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) est désormais l’organe qui régit la transition. Le soldat n’hésite pas à s’inscrire dans les pas de Jerry Rawlings, le putschiste père de la démocratie ghanéenne, et conclut : « La Guinée est belle : nous n’avons plus besoin de la violer. On a juste besoin de lui faire l’amour. » Voilà que le colosse s’improvise poète.
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Ascension éclair
Quelques heures plus tôt, Mamady Doumbouya et ses hommes faisaient pourtant preuve de bien moins de délicatesse. Aux alentours de 8h, ils ouvrent le feu aux abords de Sékhoutouréya, où se trouve le chef de l’État. La presqu’île de Kaloum résonne de tirs nourris, mais les hommes du Groupement des forces spéciales ne rencontrent pas grande résistance. Sans qu’une goutte de sang ne soit versée, ils s’emparent d’Alpha Condé, 83 ans, aux côtés duquel ils posent. C’est la fin de onze années de pouvoir.
Qu’a pensé Alpha Condé en voyant arriver Mamady Doumbouya ? Que s’est-il dit lorsque le militaire l’a ensuite exhibé dans les rues de Conakry tel un glorieux trophée ? Jusqu’au bout, il avait choisi de lui faire confiance. Il a ignoré les alertes et lui a remis toutes les clés pour devenir l’un des militaires les plus puissants du pays. L’homme qu’il a créé s’est retourné contre lui.
LE 20 OCTOBRE 2018, ON NE VOIT QUE LUI ET SES HOMMES LORS DU DÉFILÉ MILITAIRE ORGANISÉ À L’OCCASION DE LA FÊTE D’INDÉPENDANCE
L’ascension a été éclair. Cela ne faisait que trois ans que le lieutenant-colonel était de retour à Conakry. Le 20 octobre 2018, on ne voit que lui et ses hommes lors du défilé militaire organisé à l’occasion de la fête d’indépendance. Lunettes de soleil, cagoule, pas lent et menaçant, les forces spéciales, tout juste créées par Alpha Condé, font forte impression.
Jusqu’alors, ce Malinké originaire de Kankan était basé en France, où il s’est marié à une officier de gendarmerie française et où il a eu trois enfants – il a même acquis la nationalité française. Formé à l’École de guerre de Paris, mais aussi en Israël, au Sénégal et au Gabon, il s’est aguerri au sein de la légion étrangère. Il a opéré en Côte d’Ivoire, en Afghanistan, à Djibouti, dit sa biographie officielle, et serait titulaire d’un Master 2 « défense et dynamique industrielle » obtenu à l’université Assas à Paris.
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Est-ce ce CV qui a séduit le chef de l’État ou bien le talent de persuasion du militaire ? « Doumbouya n’était pas du tout un cadre, il a été bombardé avec un grade de commandant », s’étonne un bon connaisseur de l’armée guinéenne. Mamady Doumbouya parvient à se faire confier le Groupement des forces spéciales tout juste créé, cette unité d’élite, mieux équipée et mieux entraînée que les autres. Alpha Condé veut en faire une garde prétorienne, à même de contenir toute contestation et d’assurer son pouvoir, alors qu’il pense déjà à un troisième mandat.
Défiance
Visiblement, les deux hommes s’apprécient. Condé fait confiance à Doumbouya. Le Groupement voit ses rangs grossir : de 200 hommes à sa création, l’unité compte maintenant quelque 500 éléments, stationnés à Kalia, dans la commune de Forécariah. Au fil du temps, il est de mieux en mieux armé. Mamady Doumbouya gagne en pouvoir. En 2020, à l’approche d’une élection présidentielle annoncée tendue, il demande à installer un détachement des forces spéciales à Kaloum, dans une aile du palais du Peuple. Le président accepte, y voyant sans doute une garantie. Mais dans son entourage, certains s’en inquiètent. Le détachement se trouve désormais à moins d’un kilomètre de Sékhoutouréya et à quelques minutes de marche du camp Alpha Yaya, le plus grand du pays, où se trouvent les bureaux du ministre de la Défense, Mohamed Diané. Il est au cœur du pouvoir.
DANS LES ALLÉES DU POUVOIR, À CONAKRY, ON S’INTERROGE SUR LES INTENTIONS DU MILITAIRE
Diané fait partie de ceux qui se méfient du lieutenant-colonel. Depuis plusieurs mois, le patron des forces spéciales cherche à s’autonomiser. Le putsch mené par Assimi Goïta, en août 2020 à Bamako, renforce les craintes. Voilà un nouveau relais potentiel pour Mamady Doumbouya car, comme d’autres hauts gradés de la sous-région, les deux hommes sont proches depuis qu’ils se sont rencontrés lors de l’exercice Flintlock mené par les Américains au Burkina Faso en 2019.
Dans les allées du pouvoir, à Conakry, on s’interroge sur les intentions du militaire. Il paraît de moins en moins loyal. N’a-t-il pas refusé de répondre aux dernières convocations du ministre de la Défense ? En mai dernier, décision est prise de créer, avec l’appui de la coopération militaire turque, une autre unité d’élite pour contrer l’influence des forces spéciales : le Groupement d’intervention rapide (GIR). La défiance devient si forte que, ces derniers mois, des rumeurs d’arrestation de Mamady Doumbouya circulaient dans la capitale guinéenne. Mais le chef des forces spéciales montre les muscles. Lorsqu’il se rend à Conakry, c’est toujours entouré de nombre de ses hommes.
Dans les chancelleries, on souligne que Mamady Doumbouya ne faisait pas l’unanimité parmi les militaires. Récemment arrivé en Guinée, à la tête d’une unité choyée, il était surnommé par certains « le Français ». À la Légion, ne dit-on pas « légion un jour, légion toujours »?
Est-ce parce qu’il se sentait menacé que le lieutenant-colonel est devenu putschiste ? Il savait que l’étau se resserrait et qu’il était capital d’obtenir le soutien du reste de l’armée. Vingt-quatre heures après son passage à l’acte, le pari semble gagné.
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