Mais, continua le prophète, pour que tu puisses avoir la
meilleure idée de notre joie, je vais ici te présenter
brièvement (car des siècles passés à traiter cet agréable sujet
seraient à peine suffisants pour en parler assez longuement)
de quoi ont été délivrées ces âmes bénies qui, par le glorieux
rachat de notre brillant Rédempteur, ont été amenées ici. Et
pour que tu le comprennes mieux, je tâcherai de mettre mes
paroles au niveau de ta capacité en comparant les choses qui
sont dans le ciel avec celles que tu connais d’en bas, bien
que tes yeux t’aient montré combien ce qui est du ciel
surpasse infiniment ce qui peut être trouvé sur la terre. Et,
en second lieu, je t’exposerai (autant que ton intelligence
pourra le saisir) ce qu’est le bonheur qui réjouit ici les
rachetés.»
«D’abord, les âmes de tous les élus sont libérées pour
toujours de ce qui pourrait les rendre malheureuses, et, en
premier lieu, tu ne l’ignores pas, du péché. C’est lui
seulement qui plonge la créature dans la misère. Le Dieu
béni avait fait d’abord toutes choses heureuses; tout était
pareil à Lui qui est ainsi à un degré suprême; et si le péché n’avait pas défiguré la beauté du travail des deux, les anges
et les hommes n’auraient jamais connu ce que signifie le
mot malheur. Ce fut le péché qui précipita les anges apostats
dans l’enfer et dépouilla le monde d’en bas de sa beauté. Ce
fut le péché qui défigura l’image de Dieu dans l’âme de
l’homme et fit du seigneur de la création l’esclave de sa
propre convoitise: en agissant ainsi, l’homme se plongea
dans un océan d’éternelle misère duquel il n’y a pas de
rédemption. C’est par une miséricorde d’un prix
inestimable que, dans ce lieu bienheureux, tous les habitants
sont libérés du péché pour toujours par le Sang de notre
Rédempteur Jésus.
Sur la terre d’où tu viens, les âmes les meilleures et les plus
saintes gémissent sous le fardeau de la corruption. Le péché
s’attache à tout ce qu’elles font et les rend souvent captives
contre leur volonté. «Qui me délivrera?» a été le cri de
beaucoup de chers serviteurs de Dieu, fidèles et aimés de
Jésus. Le péché est la charge pesante des saints eux- mêmes
tant qu’ils sont revêtus de leur corps de chair corruptible, et
c’est pourquoi, quand ils déposent leurs corps, les âmes sont
comme un oiseau échappé de sa cage et avec une vigueur
céleste, ils montent dans cette région bénie. Mais ici, leurs
luttes sont terminées et la mort est engloutie dans la
victoire. Ici, leurs âmes qui avaient, sur terre, été déformées
et souillées par le péché, sont par Jésus à jamais béni, présentées au Père éternel.»
«Ici, chaque âme bienheureuse est libérée du péché et de
toute occasion de pécher, ce qui est un grand supplément à
notre joie. Adam lui-même dans le paradis, bien qu’il fût
dans sa première création parfaitement innocent et libre vis-
à-vis du péché, n’était cependant pas exempt de la tentation.
Satan entra dans le paradis (mettre note) pour le tenter et
Adam succomba facilement; il mangea du fruit défendu et
tomba, et, par sa chute, toute la nature humaine fut
corrompue. Le péché, tel une gangrène, a rongé la nature
humaine et corrompu l’humanité entière.»
«Mais ici, chaque âme bienheureuse est libérée de tout cela.
Aucun démon ne peut la tenter, ni la corruption l’atteindre.
Rien sauf ce qui est pur et saint, ne peut être admis dans ces
lieux. Aucune suggestion maligne de l’esprit apostat ne peut
les importuner, et le lion rugissant qui parcourt encore la
terre, cherchant qui il peut dévorer n’a pas d’accès ici;
l’esprit du monde ne peut pas davantage tenter les âmes des
rachetés qui ont, par la foi et la patience, vaincu ses artifices
et sont arrivées ici en sûreté. Ses attraits, ses tentations n’ont
aucune prise sur nous, habitants cle ces régions célestes;
nous regardons avec mépris toutes les réjouissances
terrestres. Nous sommes ici au dessus du monde et de
toutes ses tentations, et par le Sang de notre Jésus triomphant, nous avons obtenu la victoire sur lui. Rien ici
ne peut troubler notre paix, mais un calme éternel met le
comble à notre bonheur d’être libérés du péché et de toutes
ses tentations.»
«Et troisièmement, comme conséquence de cela, nous
sommes libérés des effets du péché c’est-à-dire du
châtiment sous lequel gémissent ceux qui sont enfermés
dans les sombres régions du malheur éternel qu’ils ne
peuvent pas supporter, mais que, cependant, ils doivent
souffrir toujours. Ce fut par le péché que la mort
s’introduisit dans le monde d’en bas.»
«Ce sont ces choses dont nous sommes délivrés dans cet
état béni et cependant, cela ne représente qu’une faible part
de la joie du ciel. Nos joies sont positives aussi bien que
négatives et ce qu’elles sont, je m’en vais te le montrer.»
«Nous réjouissons ici la vue de Dieu, la source bénie et
éternelle de notre bonheur. Mais ce que c’est, je ne peux pas
plus l’exprimer que des créatures finies peuvent en
comprendre l’infinité; nous sentons seulement que cela
emplit continuellement nos âmes d’une joie inexprimable et
pleine de gloire et d’un amour si ardent que rien ne peut le
satisfaire sinon son Auteur béni et que l’éternité elle-même.
C’est ce qui nous fait vivre, aimer, chanter, et louer à jamais, et qui transforme nos âmes à sa ressemblance.
Les saints du monde d’en bas, tandis qu’ils voyagent vers
cette contrée bienheureuse, sont soutenus dans leur
pèlerinage par Ses bras éternels qui les mettent à même de
marcher de grâce en grâce. Mais, nous, qui sommes en
sûreté dans le havre d’un bonheur éternel, «nous sommes
transformés en la même image, de gloire en gloire comme
par le Seigneur, l’Esprit.» (2 Corinthiens 3:18) Mais pour
que ces choses soient davantage à la portée de ta
compréhension, par la contemplation de la face de Dieu,
nous avons une jouissance réelle de Son amour et Ses
sourires bénis rendent nos âmes joyeuses et dans sa grâce,
nous nous réjouissons continuellement, «cardans sa grâce
est la vie.» Et alors, par cette adorable vision de Dieu, nous
arrivons à Le connaître combien plus que ne le peuvent
ceux d’en bas, car il y a une vision de Lui-même qui ouvre
notre entendement «et nous donne la lumière de la
connaissance de la gloire de Dieu, devant la face de notre
Seigneur et Sauveur Jésus- Christ.» Ici, nous nous
réjouissons tous de le voir face à face. En bas, les saints
jouissent de Dieu avec mesure; mais ici, nous en jouissons
sans mesure. En bas, ils ont quelques gouttes de sa bonté,
mais là, nous en avons de grandes ondées, nous nageons
dans un océan de joie sans bornes. En bas, la communion
des saints avec Dieu est souvent brisée; mais ici nous avons une jouissance de Dieu ininterrompue. Ici, nous bénéficions
de la perfection de toute grâce. En bas, l’amour est mélangé
de frayeur et la frayeur apporte le tourment; mais ici,
l’amour est parfait, et bannit la crainte. Ici, nous aimons le
Dieu béni plus que nous-mêmes et notre prochain comme
nous-mêmes.
Nous sommes tous les enfants d’un seul Père et tous nos
frères nous sont également chers. Notre connaissance dans
le monde d’en bas était très imparfaite, mais ici nous voyons
Dieu tel qu’il est et ainsi, nous arrivons à Le connaître
comme nous en sommes connus. Notre joie également,
atteint ici sa perfection.»
«Ici, nos facultés se développent en rapport avec la grandeur
des objets que nous avons à contempler. Tandis que nous
séjournions dans le monde d’en bas, aucune lumière ne
pouvait illuminer notre intelligence sinon par les fenêtres de
nos sens; c’est pourquoi le Dieu béni daignait condescendre
à nos possibilités et adaptait les expressions de sa majesté à
l’étroitesse de notre imagination. Ici, la révélation de la
divinité est beaucoup plus glorieuse et nos entendements
sont purifiés de toutes ces images terrestres qui coulaient
par les canaux grossiers de nos sens. En bas, les plus pures
conceptions de Dieu étaient très imparfaites. Mais ici, l’or
est séparé des scories et nos conceptions sont plus nettes et siéent à la pureté et à la simplicité de Dieu. En bas, les objets
de gloire étaient abaissés au niveau des perceptions des sens,
mais ici, les facultés sensibles sont élevées, affinées et
rendues sujets de gloire.»
«C’est pourquoi, maintenant que la lumière divine brille de
ses rayons directs et que les épais rideaux de la chair
n’existent plus, l’âme jouit d’une vision plus claire de Dieu.
Nous voyons à présent ce que nous avons cru de la nature
glorieuse du Dieu à jamais béni, ses décrets et ses conseils,
sa providence et ses dispensations. Ici, nous voyons
clairement que, de toute éternité, Dieu était le seul qui
existât, – mais II n’est pas solitaire – que la divinité n’est ni
confondue dans l’unité, ni divisée en nombre, et qu’il y a
priorité d’ordre, mais pas de supériorité parmi les
personnes sacrées de la Trinité ineffable, mais qu’elles sont
également l’objet de la même adoration. Les voies de Dieu
qui, d’en bas, æml inscrutables et qu’il nous semble illégal
d’examiner, nous les percevons ici comme étant le résultat
de la sagesse divine, et cela avec une telle clarté que la vérité
elle même n’est pas plus évidente.»
«Ces choses, ajouta le prophète sur un autre ton, font partie
de celles qui constituent notre bonheur. Cependant, elles se
rapportent à nos âmes seulement. Mais encore, la joie des
habitants de ces régions bénies n’est pas complète tant que leurs corps ne sont pas ressuscités et réunis à leurs âmes.
Par la munificence divine, Enoch et moi-même, nous
jouissons d’une manière particulière, parce que nous avons
été transportés ici dans notre corps, à la fois comme types
du monde avant le déluge et du monde après le déluge, de la
résurrection de l’adorable Fils de Dieu et de tous les saints
au travers de Lui. Maintenant, parce que personne, sauf le
grand Messie n’a été ressuscité de la mort (Il est les
prémices de ceux qui sont morts) parce que le corps
d’Enoch et le mien n’ont pas connu la mort malgré qu’ils
aient subi un changement équivalent à cela, il est très
difficile de se rendre compte de ce que sera l’état réel du
corps ressuscité, ceci n’étant possible pleinement que par
comparaison avec le corps glorieux du Seigneur Lui-même.
Nos corps qui n’ont pas éprouvé la mort, mais qui ont subi
un changement, ne peuvent pourtant pas être mis en
parallèle avec la gloire de celui de Jésus, quoiqu’étant,
comme le sien, corps spirituels de qui je veux te montrer
maintenant les propriétés distinctes.»
«A la résurrection, les corps des rachetés seront ici comme
le mien actuellement, des corps spirituels, non seulement
visibles mais tangibles, (à ces mots, le saint prophète daigna
me donner la main), tu seras davantage capable de savoir ce
que j’entends par corps spirituel. C’est un corps débarrassé
de tout mélange grossier de corruption, fait d’une substance pure, affinée et cependant solide, non composée de vent et
d’air comme ce que les mortels d’en bas pourraient
lourdement imaginer.»
Ici, je priai le saint prophète de se montrer indulgent à mon
égard si je disais que j’avais toujours pris «spirituel» dans un
sens opposé à «matériel» c’est-à-dire incapable d’être
touché comme je venais de faire avec le sien. Le prophète
répondit que leurs corps sont spirituels, non seulement
parce qu’ils ont été purifiés de toute corruption, mais aussi
comme n’ayant pas besoin d’être sustentés matériellement
par de la nourriture, la boisson, le sommeil et le vêtement
qui sont le conditionnement de nos corps sur la terre.
«N’as-tu pas lu, dit le prophète, que Jésus après sa
résurrection, apparut à ses disciples dans son corps, tandis
qu’ils étaient tous réunis dans une chambre dont les portes
étaient fermées? Et alors, il invita Thomas à approcher et à
étendre sa main pour toucher son côté, lui prouvant ainsi
que son corps ressuscité était substantiel. À elle seule, la
contemplation de notre Seigneur béni ici, nourrit et
entretient à jamais nos corps et nos âmes.»
«À la résurrection, nos corps seront immortels. Dans le
monde d’en bas d’où tu viens, tous les corps sont assujettis à
la mort, passibles d’être réduits en poussière à tout instant.
Mais ici, nos corps seront incorruptibles et libérés de la mort pour toujours, car notre corruptibilité sera changée en
incorruptibilité, la mort sera engloutie par la vie.»
Ici, j’exprimai le désir que le prophète se montrât patient
avec moi, pour que je lui donne un aperçu de mes propres
idées sur cette question.
«Parle, car je suis prêt à dissiper ton doute», dit-il.
«J’ai appris, dis-je, dans les Saintes Écritures, que
l’immortalité est un attribut qui n’appartient qu’à Dieu seul
et non aux hommes. C’est pourquoi Paul dit à Timothée que
seul, Dieu possède l’immortalité.»
«Quand je dis que les corps des rachetés sont immortels,
répondit le prophète, j’entends ceci: corps dans leur état de
résurrection, qui ne meurent plus. Même les corps de tous
ceux qui jouissent déjà de la félicité du Paradis sont, à cette
heure, dans la poussière de la terre, encore sous la puissance
de la mort (rappelons-nous qu’en parlant ainsi le prophète
Elie qui a été lui-même enlevé sans passer par la mort fait
allusion aux âmes des enfants de Dieu dans le paradis qui
attendent la résurrection de leurs corps). Seulement quand ils
seront ressuscités, ils seront immortels. Il est très vrai que
Dieu seul possède l’immortalité, dit l’Ecriture. Aucune
créature, qu’elle soit ange ou qu’elle soit homme, ne peut, dans ce sens strict, être appelée immortelle. Nous sommes
immortels par sa grâce, mais Dieu est immortel dans son
essence et a été ainsi de toute éternité; c’est dans ce sens
qu’on peut dire que LUI SEUL possède l’immortalité. C’est
pourquoi il est dit de Lui que Lui seul est saint, que
personne n’est bon sauf Dieu, qu’aucun n’est juste, ni
miséricordieux sauf Lui à qui soient la bénédiction, la
gloire, l’honneur et la louange pour toujours et à jamais!»
VISION DU CIEL ET DE L‘ENFER
Par John BUNYAN